L’alternative aux cellules embryonnaires humaines récompensée par le Prix Nobel 2012

En dépit de cette reconnaissance scientifique internationale de la plus haute instance qu’est le Prix Nobel de médecine, est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique du Sénat le 4 décembre 2012, une modification d’une loi âgée d’1 an (loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires). Cette modification vise à autoriser les recherches sur l’embryon humain et les cellules embryonnaires. Pourtant, le contexte scientifique international, illustré par ce Prix Nobel, atteste remarquablement de tout le potentiel des cellules dites iPS.

L'exposé du Pr. S. Yamanaka lors de son passage récent en France permet un éclairage scientifique du positionnement juridique décalé, proposé à travers cette modification de loi. Prix Nobel de médecine 2012 pour ses travaux sur les cellules souches, Shinya Yamanaka a participé le 12 novembre dernier à l’Académie des Sciences à un colloque au cours duquel il a exposé son itinéraire scientifique et ses projets.

Il a commencé sa carrière comme chirurgien orthopédiste. Très vite, de son propre aveu, il a reconnu qu’il ne serait jamais un grand chirurgien, faute d’une dextérité suffisante, et il s’est orienté vers la biologie. Ses premiers travaux sur des gènes de contrôle du métabolisme des lipides l’amènent à une cascade de surprises. Après avoir trouvé que la régulation anormale de l’un de ces gènes, NAT1, est impliqué dans la formation de tumeurs dans le foie, il comprend que celui-ci est en fait présent dans les cellules souches embryonnaires de souris. De manère plus fondamentale encore, il identifie sa responsabilité dans la pluripotence de ces cellules, autrement dit de leur capacité à donner tous les types cellulaires de l’organisme adulte. Après ces premiers travaux réalisés à l’institut Gladstone à San Francisco, il regagne le Japon, où il est recruté à l’Université de Nara, puis de Kyoto. Ayant très rapidement saisi l’importance de cette découverte, il s’attelle à l’analyse des phénomènes fondamentaux de la différenciation cellulaire, aidé pour cela de trois personnes: deux chercheurs post-doctoraux et une technicienne.

Sa question est simple: est-il possible, et comment, de reprogrammer une cellule adulte pour lui redonner une pluripotentialité ? Souhaitant résoudre cette question chez l’homme, tout en respectant les règles éthiques du Japon de ne pas mener d’expérimentation sur l’embryon humain, il identifie minutieusement 24 gènes lui paraissant clé dans ce processus et dont le mélange fait apparaître par enchantement les cellules pluripotentielles tant espérées. Avec patience, il va, aidé de ses collègues, procéder à leur élimination systématique, un par un, pour enfin identifier la clé de cette reprogrammation : un cocktail de quatre gènes. L’introduction dans une cellule adulte des facteurs de transcription qui gouvernent l’activation de ces gènes lui permet en effet de faire de cette cellule une cellule pluripotente, la fameuse cellule iPS, qui devait faire de lui le Prix Nobel de Physiologie et Médecine 2012.

Cette découverte ouvre des perspectives considérables de deux ordres. D’une part, dans le domaine de la recherche fondamentale où ces travaux permettent une sorte de « retour vers le passé ». Ils ouvrent une véritable brèche au second principe de la thermodynamique, dit le principe d’entropie, selon lequel le cours du temps conduit inéluctablement à l’accroissement du désordre. Plus précisément, ils donnent des outils et des méthodes inédits pour l’analyse des mécanismes de la différenciation cellulaire.

La deuxième ouverture, plus médiatisée, est celle d’une recherche appliquée où les cellules iPS se présentent comme des outils incontournables des thérapies cellulaires pour traiter des maladies génétiques, aux pathologies diverses comme les lésions traumatiques du système nerveux central, voire les accidents vasculaires cérébraux. Autant de domaines que le Pr Yamanaka explore depuis dans son nouvel Institut qui compte plus de 200 chercheurs. Toutes considérations confondues, les perspectives ouvertes par ces cellules iPS apparaissent supérieures à celles des cellules souches embryonnaires (cellules ES). Non seulement cette technique permet de reprogrammer les cellules du patient lui-même, évitant ainsi les problèmes de rejet post-greffe, mais en plus, leur potentiel à induire des tumeurs semblent plus limité que celui des cellules ES. Enfin, elles ne nécessitent pas, contrairement aux cellules ES, la destruction d’embryons humains. Ainsi, la révision d’une loi de bioéthique votée en 2011 dans le but de faciliter encore davantage l’expérimentation sur ces cellules ES apparaît non seulement obsolète mais inutile.